Le 14 novembre 2015, Hoi An, Vietnam.
Je me réveille à l’autre bout du monde et ce soir Paris, la ville qui m’a vu naître et grandir, est à feu et à sang. De là où je suis, c’est comme si une guerre avait éclaté entre deux mondes : celui d’où je viens, qui veut croire encore aux valeurs de notre pays – égalité, liberté, fraternité – et celui de ceux qui en sont exclus par l’ignorance, le désoeuvrement et la peur de l’autre. Ces jeunes gens embrigadés et organisés – car cette fois-ci il s’agit d’attaques concertées – par des fous de dieu et de pouvoir qui n’ont reculé devant rien pour instaurer la peur dans notre pays. Au moment où j’écris ces lignes, nous ne savons pas encore d’où venaient ces kamikazes, mais la police évoque déjà des complicités et une mise en oeuvre française.
Combien de morts encore, combien de suicides et d’attentats faudra-t-il subir avant que nous, en temps qu’humain, ne réagissions à la montée du communautarisme et de ces faux prophètes qui embrigadent nos enfants pour en faire des meurtriers sans conscience ?
Combien de temps nous faudra-t-il encore pour que nous comprenions que nous sommes tous concernés par ce qui se passe à côté de nous, juste à côté. Ces adolescents déformés par la dualité du monde qu’on leur propose, rejetés par le système, montrés du doigt comme la cause et non la conséquence d’une politique et d’une société qui ne savent plus comment faire perdurer un modèle usé jusqu’à la corde plutôt que d’oser se remettre en question ?
Comment expliquer à ces jeunes, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, qui bavent devant les vitrines de notre société de consommation sans pouvoir en pousser la porte, que le bonheur ce n’est pas d’avoir, mais d’être ensemble au service de quelque chose qui dépasse l’individu lorsque la plupart de nos dirigeants n’y croient pas eux mêmes ?
Comment expliqué à quelqu’un qui ne croit pas en lui-même que si dieu existe, il est le même pour tous, il est en nous tous, à chaque fois que nous faisons preuve de compassion, d’altruisme, à chaque fois que nous tendons une main vers celui qui souffre pour l’empêcher de tomber dans la désespérance ?
Aujourd’hui une certaine oligarchie voudrait nous faire croire que nous sommes pris au piège dans une société qui ne propose que deux choix : réussir ou se taire. Une réussite capitaliste, bien sûr, qui se mesure à l’aune de ce que l’on possède ou d’un compte en banque bien garni et non pas à ce que l’on est, au bonheur d’exister et d’être ensemble.
La recherche du bonheur, c’est presque devenu une plaisanterie un peu naive pour celles et ceux qui ne croient qu’à cette course effrénée vers la croissance, la propriété, la productivité, quitte à foutre en l’air la planète en attendant le déluge… Quitte à aller chercher ailleurs ce que nous n’avons pas chez nous, à commencer par les matières premières… Quitte à bouleverser les équilibres de toute une partie du monde, sans trop se soucier de ce qu’il adviendra après, sans trop s’intéresser non plus aux moeurs de ceux qui achètent d’une main nos hôtels de luxe, nos clubs de footballs et nos villas sur la Côte d’Azur, tout en finançant des organisations terroristes de l’autre, lorsqu’elles ne sont pas toutes deux occupées à lapider une femme adultère…
Pourtant, même aujourd’hui, dans ces moments de folie meurtrière, je sais que les consciences s’éveillent. Je vois tout autour de moi des personnes qui croient que l’on peut changer maintenant, sans attendre que ces élites politiques et financières, corrompues jusque dans leurs rêves par le pouvoir, nous montre la voie, sans attendre que l’on nous en donne le droit ou que celles et ceux qui n’ont pas un échantillon de bonheur sur eux essayent de nous le vendre en boite, prêt à l’utilisation.
Aujourd’hui plus qu’hier, malgré l’horreur qui nous entoure un peu partout autour du globe, malgré ces penseurs de pacotille qui crient à la prochaine apocalypse, je sais qu’il existe un autre chemin. Je sais que nous sommes nombreux à vouloir trouver le bonheur dans une vie qui nous ressemble et que nous ne nous laisserons pas faire. Nous ne pouvons pas changer le monde d’un coup de baguette magique, mais nous pouvons commencer par nous même. Une sorte de révolution individuelle, psychologique et philosophique qu’il tient à chacun d’entre-nous de mener, sans attendre que l’on nous en donne le signal. Une évolution qui passe par un retour aux sources de l’Homme, parce que nous ne sommes pas ces êtres égoïstes que l’on a voulu nous décrire, parce que la bienveillance, la compassion et l’altruisme sont bien plus proches de nous que ces valeurs de pacotilles que l’on essaye de nous enfourner dans le gosier à coup de spots télé et de sous culture atrophiée.
Il est temps de passer à autre chose. Il est temps de lâcher un peu nos écrans et nos téléphones portables pour regarder ce qui se passe autour de nous, dans la vraie vie, avec des vraies personnes et de vraies émotions.
Mes prières vont aux victimes, mais aussi à tous ceux qui souffrent, à tous ceux qui restent vivants après ces attentas iniques. Mes prières vont à nous tous, pour que nous trouvions ensemble la force de regarder ce qui se passe à l’intérieur, pour que nous trouvions en nous la sagesse et la compassion de rendre à ce monde les valeurs qu’il mérite, sans distinction de couleurs, de pays ou de croyance. Je prie pour que de ces violences aveugles ne naissent pas d’autres violences, d’autres ressentiments, pour que d’autres laissés pour compte ne soient pas à leur tour embarqués dans ce tourbillon aveugle qui ne mène qu’à la souffrance.
Prenez bien soin de vous et de celles et ceux qui vous entourent.